Après quatre semaines de manifestations et de violences dans toute la France, les Gilets jaunes attendent toujours une réponse à leurs revendications. La seule personne qu'ils souhaitent entendre n'est autre qu'Emmanuel Macron, très discret depuis le début du mouvement. Dimanche, l'Élysée a fait savoir que le président de la République « s'adressera à la Nation » lundi 10 décembre, à 20 heures, depuis le palais présidentiel. La ministre du Travail avait déclaré, un peu plus tôt dans la journée, que le chef de l'État allait présenter prochainement « des mesures concrètes et immédiates » pour répondre à la crise qui secoue le France.
Emmanuel Macron « saura retrouver le chemin du cœur des Français », a également assuré le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux.
Quelque 136 000 manifestants samedi comme une semaine auparavant, un record d'interpellations, des dégâts dans plusieurs villes : pressé d'intervenir après l'acte IV de mobilisation des Gilets jaunes, Emmanuel Macron va recevoir lundi partenaires sociaux et élus, avant d'annoncer dans la soirée de nouvelles mesures face à cette crise mettant le pouvoir à l'épreuve. Dans la matinée, le chef de l'État recevra ainsi syndicats et organisations patronales, aux côtés des présidents d'associations d'élus, du Sénat, de l'Assemblée nationale et du Conseil économique, social et environnemental.
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Il s'agit selon l'Élysée de « réunir l'ensemble des forces politiques, territoriales, économiques et sociales dans ce moment grave que traverse la Nation » afin de « les mobiliser pour agir ». « Le temps du dialogue est là » et « il faut désormais retisser l'unité nationale », mise à mal par cette fronde populaire inédite, née sur les réseaux sociaux, avait déclaré dès samedi soir le Premier ministre.
Le syndicat Solidaires a toutefois d'ores et déjà annoncé dimanche qu'il ne se rendrait pas lundi à l'Élysée où il a été convié avec les autres syndicats de salariés, afin de ne pas se prêter au « plan de communication », selon lui, du gouvernement.
« Nous ne pensons pas que dans cette période le rôle des organisations syndicales soit de discuter avec un président et un gouvernement aux abois, alors même que des centaines de personnes sont encore en détention pour simplement avoir voulu manifester contre la politique de ceux qui nous invitent à discuter », a déclaré le syndicat dans un communiqué. Il a précisé ne pas vouloir se « substituer à celles et ceux qui se mobilisent depuis plusieurs semaines », en référence au mouvement des Gilets jaunes.
Des scènes de violences et de nombreux dégâts
Les autorités ont réussi à enrayer samedi l'escalade de la violence tant redoutée, notamment grâce à un recours massif aux interpellations : pour l'ensemble de la France, le ministère de l'Intérieur a fait état de près de 2 000 personnes interpellées, dont plus de 1 700 ont été placées en garde à vue. La grande majorité concernait Paris avec 1 082 interpellations contre 412 le samedi précédent, notamment des personnes arrêtées avec sur elles masses, marteaux, boules de pétanque...
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À l'issue du millier de gardes à vue, « des réponses rapides associant fermeté et pédagogie seront mises en œuvre », a promis le procureur Rémy Heitz. Après les violences lors des manifestations, le parquet de Paris va encore revoir à la hausse le nombre d'audiences lundi et mardi pour faire face au nombre de prévenus, a également indiqué dimanche le procureur de la République. « Plus de 900 majeurs et près de 100 mineurs » ont été placés en garde à vue, a-t-il précisé lors d'un point presse. « Le parquet est pleinement décidé à ne pas laisser impunies les exactions commises à Paris en marge de cette journée », a insisté le procureur. Dimanche soir, selon un bilan provisoire, 278 personnes avait été déférées au parquet de Paris à l'issue de leur garde à vue. En outre, 494 procédures ont été classées sans suite, dont 288 après un rappel à la loi notifié par un officier de police judiciaire, a indiqué le parquet de Paris.
Tirs de gaz lacrymogènes en nombre dans Paris, vitrines brisées sous les lumières de Noël et pillages, voitures brûlées à Paris, à Bordeaux, Toulouse et toujours des blocages sur les routes : les images de samedi ont une nouvelle fois marqué les esprits en France comme à l'étranger. Dimanche, opérations péage gratuit et occupations de ronds-points se maintenaient, notamment dans l'Ouest et le Sud-Est. Dans la capitale samedi, les scènes de violences, concentrées aux abords de la place de l'Étoile et de l'Arc de Triomphe la semaine précédente, se sont produites cette fois dans plusieurs quartiers. La mairie de Paris estime même que la journée du 8 décembre a occasionné plus de dégâts matériels que huit jours auparavant et juge plus important le coût économique, car des magasins étaient fermés. « De nombreux Français, notamment commerçants, ont connu un nouveau samedi noir », selon Laurent Wauquiez (LR).
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Proche du chef du gouvernement, le maire de Bordeaux Alain Juppé, dont la ville a été particulièrement touchée, a appelé Emmanuel Macron à « répondre concrètement à certaines attentes légitimes », à tenir « un discours d'autorité », mais aussi « de compréhension, d'empathie ». Des maires attendent « des actes en face des mots », a fait valoir l'édile LR de Poissy Karl Olive, qui avait été reçu avec un collectif vendredi plus de trois heures à l'Élysée.
Édouard Philippe sur le front, mais de plus en plus fragile
En outre, les heurts ont fait quelque 325 blessés, d'après la ministre de la Santé Agnès Buzyn, soit autant que le 1er décembre. Un homme a eu une main arrachée à Bordeaux. Un dispositif « exceptionnel » avait été prévu, avec 89 000 membres des forces de l'ordre déployés sur l'ensemble du territoire, dont 8 000 à Paris appuyés par 14 véhicules blindés à roue, déployés pour la première fois de leur histoire dans la capitale. La tour Eiffel, le Louvre et de nombreux commerces étaient restés fermés. Samedi soir, le ministre de l'Intérieur s'est félicité que la « dynamique des casseurs » ait été « brisée ». Un millier de Gilets jaunes ont aussi défilé à Bruxelles, où 400 personnes ont été arrêtées et un policier blessé.
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Cible récurrente des manifestants, à coup de « Macron démission », le chef de l'État a laissé jusqu'alors Édouard Philippe monter au front, devant le Parlement et les médias. Il est désormais pressé de toutes parts de prendre la parole. Les concessions de l'exécutif, notamment l'annulation de l'augmentation de la taxe sur les carburants, semblent avoir eu pour principal effet d'avoir fragilisé le Premier ministre qui défendait une simple suspension de la hausse, avant d'être brutalement désavoué par l'Élysée. Faut-il annoncer un tournant social ou « garder le cap » des réformes comme jusqu'alors ?
Les appels de la classe politique
« Inquiet » pour la démocratie et les institutions, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, poids lourd de l'aile gauche de la majorité présidentielle, a appelé à un « nouveau contrat social indispensable ». Le chef de file de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, avait de nouveau évoqué samedi « la dissolution » de l'Assemblée nationale. « Les trois quarts des revendications des Gilets jaunes sont dans notre programme », avait-il aussi assuré, alors que le mouvement est rétif à toute classification politique. Députés LFI, communistes et socialistes doivent déposer lundi une motion de censure contre le gouvernement, qui devrait être débattue mercredi ou jeudi mais n'a aucune chance d'être adoptée. « En restant droit dans ses bottes depuis plusieurs semaines, le gouvernement porte la responsabilité des conséquences pour la paix civile et l'économie du pays », juge André Chassaigne (PCF).
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Depuis la Belgique, la présidente du RN Marine Le Pen, qui souhaite aussi une dissolution, avait demandé à Emmanuel Macron des « réponses fortes » à la « souffrance » des Gilets jaunes. Une concertation de trois mois et demi doit commencer samedi prochain dans toute la France, avec syndicats, élus locaux et Gilets jaunes. Le gouvernement s'y est engagé afin de dégager des « mesures d'accompagnement justes et efficaces ». Olivier Faure (PS) a réclamé une « négociation », pas « un grand blabla décentralisé ».